L’absence d’anticipation des mesures de confinement a contraint chaque professeur à un travail en urgence pour la mise en place de la « continuité pédagogique ». Nous ne reviendrons sur cette terminologie, dont on sait qu’elle vise à essayer de camoufler à l’opinion l’exacerbation des inégalités qu’engendre la situation : inégalités d’équipement, d’accès aux réseaux de communication, d’accompagnement familial, de conditions de vie, de motivation… que l’école n’a jamais pu régler seule et que le travail acharné des professeurs aujourd’hui, ne peut, bien évidemment et malheureusement, effacer.
En urgence les enseignants ont déployé, au prix d’une charge de travail souvent déraisonnable, en un week-end et les semaines qui ont suivi, les moyens de maintenir le lien avec leurs élèves afin de poursuivre au mieux les apprentissages. Dans le même temps, Blanquer maniait les injonctions à se rendre dans les établissements, relayé par de trop nombreux chefs d’établissement tout aussi irresponsables. La Rectrice nous rappelait même que nous devions être au travail, en caractère gras. Il faut croire que pour tout ce monde, un professeur qui n’est pas devant élèves ne travaille pas, illustration parfaite de la méconnaissance de notre métier, y compris « en temps de paix ». La section académique du SNES-FSU a réagi immédiatement à ces injonctions délirantes, ce qui a contraint la Rectrice à réagir dans un sens conforme à la préservation de la santé de toutes et tous.
Blanquer n’a, quant à lui, jamais renoncé à son objectif de soumettre le métier d’enseignant à ses volontés comme en témoignent les injonctions contenues dans le vade-mecum de la DEGESCO du 20 mars. Nous devons être attentifs et nous méfier de ce qu’il pourrait advenir après le confinement. Prenons garde à ce que nos pratiques actuelles ne nous soient pas imposées comme norme nouvelle.
En effet :
- Nos cahiers de texte sur Pronote (ou autre) n’ont jamais été aussi scrutés par les chefs d’établissement qu’aujourd’hui, certains se permettant même de lire les conversations privés entre enseignants. Cela a pu conduire à certaines interventions de leur part dans nos pratiques, même si aujourd’hui elles visent souvent à réguler la charge de travail qui pèse sur les élèves, mais cela est-il souhaitable dans la durée ? Blanquer le souhaite à l’évidence, le SNPDEN-UNSA, promoteur du chef d’établissement 1er pédagogue, aussi.
- On voit poindre ici ou là, au détour des injonctions de la DEGESCO, la volonté de faire du professeur principal un régulateur des pratiques de ses collègues, projet avorté à l’automne, suite à la pression du SNES-FSU, de la redéfinition en ce sens des missions du professeur principal. Blanquer passe par la fenêtre, là où il n’a pu enfoncer la porte, le laisserons-nous faire à cet instant et durablement ?
- Le vade-mecum de la DEGESCO préconise l’appel systématique des familles, toutes les semaines, par le professeur principal ou mieux par un professeur référent d’un groupe d’élèves, modalité imposée sans concertation dans un lycée de l’académie. Outre la pertinence de la mesure qui reste à interroger, cette dernière modalité (professeur référent) ressemble à s’y méprendre à la volonté de mettre en place un professeur référent de cycle terminal au lycée afin de pallier la disparition du groupe classe. Blanquer a de la suite dans les idées.
- Les professeurs font la démonstration, par une auto-formation accélérée sur le tas, de leur capacité à mettre en ligne très rapidement de nombreux contenus, aux supports variés pour tenter de maintenir la continuité des apprentissages avec la majorité de leurs élèves. Et cela y compris lorsque parents, ou malades, eux-mêmes, leurs conditions de travail à domicile ne sont pas bonnes. La tentation sera grande, n’en doutons pas, de nous demander en cas d’absence pour stage, pour garde d’enfant malade, pour maladie… de mettre alors des contenus en ligne pour pallier l’absence de professeur remplaçant (les absences de moins de 15 jours ne sont plus remplacées, rappelons-le, faute de TZR). Soyons sûrs que Blanquer y pense et avec lui de nombreux chefs d’établissement. Assurons-nous collectivement que ce type de demande ne puisse voir le jour en s’appuyant sur la situation de crise extraordinaire que nous traversons.
- Enfin, le droit à la déconnexion doit s’appliquer dans la période et nous ne pouvons que vous conseiller de fixer des limites aux heures auxquelles vous répondez aux sollicitations des élèves, des familles, de l’institution. Dans la période évidemment, mais il faudra les restreindre ensuite pour ne pas laisser s’installer la sollicitation permanente à laquelle nous sommes soumis-e-s : le temps de classe devra redevenir le temps d’échange privilégié entre élèves et professeurs. Pas sûr que Blanquer soit sur cette ligne quand il ne cesse de répéter à longueur d’antenne que la période est l’occasion privilégiée de transformer le lien entre enseignants, familles et élèves.
Nous savons que Blanquer privilégie toute occasion pour transformer nos métiers. La réforme des retraites, pour l’instant suspendue mais probablement pas enterrée, lui permettait d’avancer une pseudo- revalorisation en échange de contreparties inacceptables.
Au sortir de la crise, la revalorisation de nos métiers n’en restera pas moins indispensable, et le SNES-FSU n’entend pas renoncer à cette revendication, mais il s’opposera à toute redéfinition du métier à la sauce Blanquer.