Madame la Rectrice,

Mesdames et messieurs les membres de la Formation Spécialisée Santé Sécurité Conditions de Travail de l’académie de Limoges,

Une fois n’est pas coutume, notre propos liminaire ne pourra aujourd’hui être purement en adéquation avec l’ordre du jour de cette FS. En effet, le séisme politique en forme de boîte de pandore ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation précipitée d’élections législatives anticipées fait peser sur le modèle de société qui est celui que nous connaissons depuis des décennies, mais aussi sur les droits et libertés ainsi que sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des agents de notre ministère et de toutes les travailleuses et tous les travailleurs de ce pays des incertitudes et même des menaces sans précédent.

Dans nombre de médias de masse, nous assistons à la banalisation des propos racistes et xénophobes, à la diffusion sans distance critique de fake news ouvertement homophobes, lesbophobes et transphobes, à l’exaltation d’une école relevant d’un passé fantasmé où régnerait un ordre garanti par le port de l’uniforme et les levers de couleurs : tout cela désinhibe les franges les plus réactionnaires de la société et encourage désormais les propos les plus outranciers et les comportements les plus violents. Les professionnels de l’Éducation nationale sont aux premières loges. Notre tutelle saura-t-elle nous protéger et nous défendre contre ces agressions et ces violences, que l’on a d’ores et déjà constatées depuis le 9 juin ? Ou bien devrons-nous aller au travail la peur au ventre, et pratiquer l’autocensure ?

Vous ne l’ignorez pas, à l’heure où nous parlons, la FSU, avec bien d’autres forces syndicales et associatives, est engagée pleinement afin de barrer la route à l’extrême droite et à son projet mortifère et afin de faire exister face à ce scénario de cauchemar une alternative de progrès social, écologique et démocratique. L’extrême droite, puisque c’est ainsi que le Conseil d’État l’a encore qualifiée ces derniers jours, a déjà été essayée dans notre pays, quoi qu’en disent des amnésiques ou des menteurs. Et nous savons comment la Révolution nationale, à l’œuvre entre 1940 et 1944, a été porteuse de malheurs. Dans l’Éducation nationale, où nous sommes toutes et tous attachées aux principes d’égalité, de lutte contre les discriminations, d’émancipation des jeunes en vue d’en faire des femmes et des hommes libres et conscients et, ainsi qu’il est énoncé dans les programmes jusqu’alors en vigueur, aptes à « comprendre le monde qui les entoure afin de pouvoir agir de façon responsable et plus tard à une échelle large, en tant que citoyens », la perspective d’une remise en cause possible de toutes les valeurs qui fondent notre engagement, dans toutes nos professions, est vécue comme un véritable traumatisme.

Pour autant, les nuages sombres qui obscurcissent notre ciel ne viennent pas de nulle part et n’ont pas surgi en un claquement de doigts ou par un hasard incompréhensible. Si aujourd’hui nous nous retrouvons au bord de l’abime pour reprendre la formule d’un ancien président de la République, c’est aussi que des dirigeants semble-t-il pourtant tout à fait républicains ont, depuis des années, par des actes successifs que nous avons dénoncés en CHSCT puis en FS, fait dériver la société et, pour revenir quand même aux attributions de notre FS, le système éducatif vers cet abime.

L’exemple de la réforme dite du « Choc des savoirs » est à cet égard plus que significatif. En effet, si on reprend le programme de la candidate du Rassemblement national à la dernière élection présidentielle, nous y lisons les propositions suivantes : 1- « Le détail des programmes et les labels validant les manuels scolaires relèveront du ministre de l’Éducation nationale », 2- « le collège unique est une machine à échec » et 3- « le DNB deviendra donc un examen d’orientation post-3e ». Or, où est-ce qu’on a retrouvé ces propositions ? Au cœur de la réforme annoncée par le gouvernement Macron-Attal en mars 2024. Cette imposture, cette forfaiture même, qui, au nom d’un misérable calcul électoraliste, remet en cause les fondements d’une École pour tous et toutes au profit d’une École qui exclut les plus faibles socialement, nous ne pouvons que la dénoncer, haut et fort.

Le renoncement à l’ambition pour les jeunes va de pair avec un renoncement à toute ambition pour nos métiers. Le métier qui se dessine, au travers du « choc des savoirs », est un métier contraint et prescrit, nous l’avons déjà dit. Remettre en cause les fondements de nos missions et notamment le principe de l’enseignant concepteur et l’enseignante conceptrice de son métier, c’est, en réalité, dégrader et délégitimer encore plus nos professions tant aux yeux de la population qu’en terme d’estime de soi et donc de santé au travail. Cette réforme inique est en lien direct avec le projet de réforme des concours de recrutement et de la formation initiale des professeures, dont on ne peut que craindre qu’il s’agisse de former et même de formater des exécutants et de exécutantes en les privant des connaissances et de la réflexion critique nécessaires. Avec de telles réformes, comment alors inciter les jeunes étudiants et étudiantes à faire le choix d’une carrière dans notre ministère ? Avec de telles réformes, alliées à des contraintes liées à des groupes de niveaux au collège, qui en plus de broyer les jeunes issues des familles pauvres, vont corseter les progressions pédagogiques rendant le travail toujours plus caporalisé, alliées à l’obsession de l’évaluation, du tri et de la ségrégation, que restera-t-il demain des métiers dans lequel nous nous sommes, vous, nous, toutes et tous autour de la table, engagées ?

De surcroit, l’impréparation de la part du gouvernement actuel laisse les personnels dans l’incertitude la plus totale à moins de deux semaines des vacances scolaires : - La réforme de la formation initiale est encore dans le flou alors que nombre de jeunes collègues sont déjà engagé.es dans leur parcours de formation et ne savent pas dans quelles conditions elles et ils vont entrer dans le métier. Les formateurs et formatrices sont aujourd’hui dans la plus grande difficulté pour se projeter dans l’année scolaire à venir. - Après un simulacre de consultation et des projets de programmes décriés par les spécialistes en la matière y compris par les membres du Conseil Scientifique de l’Éducation, les nouveaux programmes ne sont toujours pas parus. - Les manuels labellisés découlant des programmes, que la FSU continue de dénoncer, ne peuvent ainsi pas être édités… Dans ces conditions, les collègues sont empêché.es de préparer la rentrée. Cette impréparation, cette mise en difficulté des personnels renforce encore le sentiment de colère et de déconnexion de l’institution avec les personnels.

Plus généralement, mais cela est plus que connexe avec nos conditions de travail et notre santé, maintenant que le locataire de l’Élysée a ouvert en grand les portes du pouvoir à ce que la société porte de plus rétrograde et de plus illibéral en son sein, le président du RN, décomplexé et sûr de sa victoire, ne prend même plus la peine de mentir et a nettement affirmé que le retour à la retraite à 60 ans, promis de longue date par son parti, ne fera pas partie des priorités, et que l’examen de cette question viendrait « dans un second temps » (c’est-à-dire : jamais !), montrant par là même sa filiation avec les extrêmes droites du XXe siècle qui ont toujours privilégié les détenteurs du capital, au détriment des travailleurs et des travailleuses et des organisations ouvrières qu’il se sont historiquement employés à saper, systématiquement.

Nous n’avons pas besoin de rappeler ici les effets néfastes du report de l’âge de la retraite à 64 ans, recul social historique entre tous en même temps qu’il charrie des conséquences délétères pour la santé physique et mentale des agents de l’Éducation nationale.

La santé des agents du ministère, parlons-en. Elle a déjà été entamée depuis des années. Depuis la crise sanitaire de 2020, nous constatons une dégradation des conditions de travail dont nous avons fait état dans nos déclarations liminaires lors des FS et des CHSCT passés. Mais l’actualité du moment et les menaces concrètes sur l’avenir de l’Éducation nationale nous font craindre que les conditions de travail se dégradent encore plus et à plus grande vitesse à mesure que la crise majeure en cours va possiblement s’approfondir.

Pour revenir un peu plus au cœur de la lettre de l’ordre du jour, on constate que le rapport d’activités du service social en faveur des personnels est à ce titre éclairant. On voit bien que les demandes des personnels sont étroitement liées aux difficultés rencontrées sur le lieu de travail. Or ce sont ces difficultés qui engendrent d’autres problématiques sur la famille, sur les couples, mais aussi bien entendu sur la santé. Nous retrouvons dans le bilan des visites médicales que 73,5 % de celles-ci concernent des agents entre 40 et 59 ans. Nous avons alerté régulièrement, souvenez-vous, sur un état de santé qui se dégrade en avançant avec l’âge : cela a été confirmé de manière douloureuse pour ne citer qu’un exemple lors de la visite inversée des professeures d’EPS. Nous avons aujourd’hui la confirmation chiffrée.

Au vu de l’importance de pouvoir accompagner nos collègues au quotidien, nous tenons, pour finir, à saluer ce qui aurait dû constituer – si l’actualité politique n’avait tout emporté sur son passage depuis 16 jours – la note des plus positives de notre propos liminaire, à savoir le renforcement du pôle santé au rectorat de Limoges que nous accueillons très favorablement. Nous profitons donc de cette déclaration pour souhaiter la bienvenue au Docteur Fauvet, médecin de prévention, et à madame Haudebault, infirmière de prévention. Considérant les problématiques que nous allons traiter aujourd’hui en Formation spécialisée, nous avons conscience de la tâche qui les attend et les accueillons avec nos meilleurs encouragements et la plus grande des sympathies.

Déclaration de la FSU à la FS-SSCT du 25 juin 2024