Autonomie des établissements, fausses illusions, vrai piège
Renforcer l’autonomie des établissements, accroitre les pouvoirs du chef d’établissement constitueraient la voie obligée pour libérer le système éducatif des supposées pesanteurs qui entraveraient son fonctionnement et l’empêcherait de répondre aux besoins. Tel est le discours développé par les ministres de l’Education successifs et par plusieurs cercles de réflexion d’inspiration libérale (Institut Montaigne et Terra Nova).
Mais derrière ce qui est volontiers présenté comme des évidences de bon sens, se cachent de redoutables logiques.
Soulignons tout d’abord que l’expérience des États qui ont fait le choix de recourir à l’autonomie des établissements devrait conduire à la prudence. Renforcement des discriminations sociales entre les établissements, contenus d’enseignements soumis à diverses pressions idéologiques et en partie définis localement, révèlent que l’autonomie ne va pas de pair avec une amélioration du fonctionnement et des performances des systèmes éducatifs.
Renforcer l’autonomie ne peut produire qu’une amplification des inégalités entre les établissements et un accroissement de fait de la ségrégation sociale. Une réponse locale, construite à partir des besoins supposés de la population accueillie, conduira le plus souvent, dans les établissements défavorisés, à des formes de renoncement à des contenus exigeants et formateurs.
Donner de l’autonomie aux établissements pour organiser les enseignements est déjà partiellement à l’œuvre dans nos établissements que ce soit en lycée depuis la mise en place de la réforme Chatel, ou en collège avec la réforme Vallaud-Belkacem. Les effets pervers sont connus : mise en concurrence des disciplines et des enseignements, choix guidés non par la pertinence pédagogique mais par des logiques comptables. On imagine sans mal les dérives auxquelles conduirait un renforcement de l’autonomie des établissements pour l’organisation des horaires d’enseignement notamment.
Derrière le renforcement de l’autonomie se cache aussi la volonté d’économies budgétaires et de redéfinition du métier et des services des personnels, voire d’individualisation de leur rémunération. Renvoyer la gestion de la pénurie budgétaire au local permet aux ministres et aux recteurs de ne pas assumer les conséquences de dotations horaires insuffisantes en renvoyant systématiquement aux « choix » d’établissements. C’est une réalité que nous ne cessons de dénoncer car elle conduit à des tensions dans les établissements et à des pressions sur les personnels par exemple en conditionnant des dédoublements à l’acceptation d’HSA.
La recherche d’économies budgétaires concerne aussi les enseignants au travers de la volonté de redéfinir et d’imposer localement un certain nombre de missions et d’évolutions du métier. Si nos actions ont permis jusqu’alors que soient réaffirmées des garanties statutaires dans nos métiers, notamment au travers des décrets d’août 2014, nul doute que le Ministre Blanquer rêve, là encore, d’y introduire de la « souplesse » en comptant qu’il sera plus facile d’imposer des modifications localement.
Enfin, le serpent de mer du recrutement des enseignants par le chef d’établissement refait surface, toujours articulé au bon sens qui voudrait qu’on travaille mieux avec une équipe qu’on a choisie. Notons au passage un discours à sens unique car jamais n’est évoquée la possibilité du choix du chef d’établissement par les enseignants… Des recrutements locaux ont déjà été expérimentés (établissements Eclair,...), ils ont systématiquement été un échec et ont conduit à laisser de nombreux postes vacants. Par ailleurs, au delà du détestable mercato qui aurait lieu, jamais ne sont évoquées les situations des établissements excentrés ou peu attractifs. Ne sont jamais évoqués non plus les liens de dépendance voire de soumission qui pourraient apparaître, en totale contradiction avec notre ambition d’un enseignant concepteur et maître de ses pratiques, au service d’une même ambition pour tous les jeunes, quelque soit l’établissement.
Tout doit donc nous conduire à nous opposer à l’accroissement de l’autonomie des établissements voulue par le ministre Blanquer car elle est nocive pour le système éducatif et pour les jeunes. Nous y opposons une toute autre autonomie, celle des équipes pédagogiques, qui au sein d’un cadre national renforcé et garanti, se verraient dotées d’un complément de dotation, au delà des horaires réglementaires, pour mettre en œuvre les dispositifs qu’elles jugeraient pertinents pour leurs élèves, permettant, par exemple, de lutter contre l’échec scolaire.