Monsieur le Recteur,
Le SNES-FSU ne vous surprendra pas en vous disant qu’il juge que la question des moyens est une question essentielle. Or un bilan rapide de l’évolution entre 2008 et 2017 des moyens alloués aux établissements dans notre académie est accablant.
Sur la période 2008-2012, près de 500 emplois ont été supprimés (l’académie a été, en proportion, l’académie métropolitaine la plus malmenée) et seuls 80 ont été rétablis entre les rentrées 2013 et 2017. Et l’argument de la baisse démographique ne peut être utilisé puisqu’il y a dans notre académie, à la rentrée 2017, par rapport à la rentrée 2008, 1786 élèves de plus dans les collèges et les lycées généraux et technologiques ! Si l’on regarde plus précisément par niveau d’enseignement, on constate dans les collèges 608 élèves de plus à la rentrée 2017 par rapport à la rentrée 2008 avec pourtant une perte de 144 postes. Dans les lycées, on constate à la rentrée 2017 1178 élèves de plus comparé à la rentrée 2008 avec une perte de 173 postes. Dans les lycées entre 2013 et 2017, où la hausse démographique a été particulièrement sensible (+1568 élèves), seuls 29 postes ont finalement été réimplantés.
La légère amélioration en cette rentrée 2017, la première depuis la rentrée 2013, est donc loin de réparer la dégradation, majeure, des conditions d’encadrement des élèves dans les établissements. Comment alors s’étonner aujourd’hui des fragilités scolaires d’un nombre important de nos élèves qui ont connu des conditions d’encadrement dégradées, des baisses horaires suite aux différentes réformes ou restrictions de moyens, cela conjugué à la fluidité des parcours imposée sans moyens de remédiation ? Nous y voyons une des raisons de la dégradation du rang de l’académie dans l’ensemble national pour les résultats au brevet. Quant aux résultats du baccalauréat, s’ils restent bons, ils sont aussi marqués par une baisse du taux de réussite à l’issue du premier tour.
Dans un tel contexte, la perspective du retour des suppressions d’emplois, 2600 suppressions dans le second degré sont actées au budget 2018, est évidemment une très mauvaise nouvelle qui ouvrirait la voie à de nouvelles dégradations. Et l’on voit bien que la réforme du lycée qui est annoncée pourrait servir à faire apparaître de nouvelles marges de récupération de moyens comme la réforme Chatel l’avait permis en son temps ou comme le permettrait la réforme Vallaud-Belkacem.
L’Éducation Nationale doit en effet contribuer aux 120 000 suppressions de fonctionnaires prévues et il semblerait que la réforme du lycée soit convoquée à cet effet. Un faisceau de preuves concordantes trace des perspectives inquiétantes en terme de diminutions horaires. La diminution des postes aux concours de recrutement dans certaines disciplines ne souffrant pourtant pas de la crise du recrutement, en est un indice supplémentaire.
Au delà de la seule question budgétaire, le projet de lycée modulaire qui se dessine au fil des révélations de la commission Mathiot ou des déclaration du Ministre est très inquiétant. L’exemple anglais, qui semble servir de modèle au Ministre, devrait pourtant nous alerter sur la reproduction des inégalités sociales qui s’y joue, plus fortement qu’en France aujourd’hui, en scellant le destin des adolescents dès leur entrée dans le dernier cycle du secondaire. Une telle organisation ne fait en rien disparaître les déterminismes et les inégalités de choix d’orientation entre les élèves qui en découlent en fonction du genre, de l’origine sociale ou du niveau scolaire. Elle ne fait pas non plus disparaître la hiérarchie entre les différents parcours.
Qu’il faille aujourd’hui changer le lycée nous en convenons, le SNES-FSU alerte depuis des années sur les difficultés liées à la réforme Chatel, mais nous considérons que le lycée a besoin de rester structuré en séries, générales et technologiques, renforcées dans leurs colorations respectives et dans leurs démarches propres pour permettre une véritable diversification des parcours favorisant l’accès de jeunes plus nombreux au bac et à l’enseignement supérieur. Le caractère national des enseignements et des cursus doivent aussi être garantis faute de voir les inégalités se creuser entre les établissements et les élèves, ceux notamment les plus éloignés des attendus et de la culture scolaires.
Un nouveau bac est aussi annoncé, dont le format fixé par avance, 4 épreuves terminales avec renforcement du contrôle continu, verrouille toute discussion sur son utilité et l’organisation du lycée qui en découlerait. Le bac en sortirait-il davantage « musclé » ? Assurément non, car il perdrait ainsi son caractère national et sa valeur serait alors celle que voudrait bien accorder la société à la réputation de tel ou tel lycée, réputation qui deviendrait inévitablement un critère de sélection pour l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur. Pourquoi faire ce choix aujourd’hui, puisque suite à un mouvement d’ensemble ces 15 dernières années, le modèle du baccalauréat « à la française », obtenu à la suite d’épreuves terminales et nationales, est aujourd’hui dominant au sein des pays de l’OCDE ? Pourquoi, alors que « le bac français embrassant un champ très large de matières, proposant une multiplicité d’épreuves complexes, correspond à une modalité d’évaluation qui peut avoir des effets bénéfiques sur les élèves », d’après les conclusions du CNESCO ?
Sans doute pour mieux coller à la philosophie du « plan étudiants » dont l’objectif n’est pas de mieux orienter les élèves, mais de mieux évincer certains jeunes de l’enseignement supérieur du fait du renoncement à l’investissement financier nécessaire à l’accueil de tous les jeunes, dans de bonnes conditions d’encadrement. Exit donc aussi l’objectif de 60 % d’une classe d’âge diplômée du supérieur et tant pis pour les jeunes ayant fait les mauvais choix au lycée.
Pour le SNES-FSU ce qui se joue actuellement dans la précipitation n’est pas acceptable. Les calendriers doivent être desserrés pour que les débats aient réellement lieu. Le simulacre de concertation que constitue la commission Mathiot, comme l’a été la concertation sur l’accès à l’enseignement supérieur, le cloisonnement des sujets abordés (supérieur, bac et lycée, formation professionnelle), n’empêchent pas la lecture de la cohérence du projet d’ensemble : rendre les élèves seuls responsables de leur éventuel échec, ce qui est loin, bien loin de « l’école de la confiance » tant vantée par le Ministre Blanquer.